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Caravelle déroutée

un jour
l'homme à la figure grise
par force
en déchargeant ses mousquets
s'est emparé du navire
alors
nous qui voguions vers l'azur
nous avons perdu le cap
louvoyé contre le vent
la cale
fit embourrer de son or
de son fabuleux trésor
et la coque s'enfonçait
dans la fange d'une eau trouble

les uns
ont rejoint d'autres esquifs
les autres
se sont laissés débarquer
sur des rives désolées
en pleurs
ils ont vu la voile bleue
d'un vent orgueilleux gonflée
disparaître sans un signe

adieu
compagnons que nous aimions
hélas
plus personne n'a les cartes
nul ne scrute le sextant  

et moi
je rêve au fond de la cale

qui sombre

Ce poème était joint à ma réponse à un correspondant s’inquiétant de la disparition de plusieurs représentants appréciés de la twittérature, qui ont déserté ce réseau social à la suite de l’appropriation de celui-ci par Elon Musk. Sa structure articulée en vers de 2 et 7 syllabes suit un processus d’augmentation/diminution s’inspirant un peu de celle du bigollo.

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Les importuns

Le crin sur le coeur
Te cale cou le croco
Te vole eau la veuve
Un asin ose le sacre
Du solo sur le corso

S’intéressant à la forme qu’on voit d’une lettre en clignant des yeux -sa silhouette, assimilée à un rectangle comme décrit sur la figure ci-dessous, Gilles Esposito-Farèse a introduit la notion d’homomorphisme littéral, dans laquelle deux vers respectent cet isomorphisme si leurs silhouettes sont identiques. Il en est ainsi des cinq vers du présent tanka.

Ci-dessous la représentation en silhouettes de ce tanka:

Publié sur la liste Oulipo le 7 juin 2023.

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Macrhonte neuf trois

C'était un président haïssant peuple et plèbe.
Bâillonnait les élus, les juges enchaînait.
Sa police à tous les carrefours ratonnait.
Survolait en avion les manants de la glèbe.

Ignorait ce pays où splendide le grèbe
orne les vertes eaux qui mirent le genêt.
Méprisait l'ouvrier et traitait de benêt
l'humble sage grattant le sol où croît la cèbe.

Il fit trimer les vieux, casquer les affamés,
riant de ces enfants qui erraient désarmés,
quand l'argent aux puissants gonflait la tirelire.

C'était un président par son peuple haï.
Il ne savait entendre et refusait de lire.
La stupeur le saisit quand son camp le trahit. 


La présidente macroniste de l’Assemblée Nationale annonce aujourd’hui 7 juin 2023 que les amendements pour restaurer le projet de loi déposé par le groupe LIOT visant à abroger la réforme des retraites ne seront pas examinés. Après les articles 49-3 et 49-1 le gouvernement a trouvé encore le 40 pour priver les députés de tout débat sur cette réforme. Ce sonnet est de circonstance.

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Semence

Corps ! Corps bouillant !
À quand la saison du rut
où pourras, hurlant,

ouvrir ton humus obscur
au labour sanglant du soc ?

Ce tanka fautif est un exemple de clinamen au sens oulipien : le 1er vers n’a que 4 syllabes. Son maintien volontaire alors qu’il est facile d’ajouter une syllabe est conforme aux idées de Georges Perec concernant le clinamen, liberté dans la contrainte.
Comme lipogramme en E, ce poème accompagné de son titre fournit un second exemple de clinamen, l’unique mot du titre ne respectant pas la contrainte.
Publié sur la liste Oulipo le 4 juin 2023.

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Effacer Clémence

Effacer Clémence

Truc dément : étend chenille
avec sauna très violent.
Leitmotiv cérémoniel,
estoc lâche, démentiel.

Fond naïf papillon trop bavant :
tub extrait le fil lucratif.

Travail éreintant assigné à nana
selon traditions régnant.

Voici une nouvelle contribution à « L’oulipien de l’année » que le site Zazie mode d’emploi consacre pour 2023 à Michèle Audin. Le texte avec son titre forment une anakyrielle littérale (ou kyrielle cousue, une contrainte due à Gilles Esposito-Farèse ) : La dernière lettre de chaque mot est identique à la première lettre de son prédécesseur, de façon cyclique, le dernier mot se cousant au premier du titre.
Publié sur la liste Oulipo le 30 mai 2023.

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mère à l’enfant

Va,
voit, vit,
touche tout,
palpe partout.

Bébé
évadé va,
telle petite étoile,
fouinant, tâtant sans fin, tout fou.

Elle le
mène, mamé, à même
sa peau, repère pur espéré.
À ce tiède contact connaît ancienne attente.

Ann a nanan.
Sûre, serre. Susurre « Urus ! »
Elle recèle l'or. Coule corolle ourlée.
Passe instant en suspens. Petit se sent uni au sein puissant.

Tête
calée
en l'aisselle
rit de douceur.

Né en
lune nuée,
n'attend date ni dette.
Aime l'aile sur lui serrée.

Rée ère, erre,
rage égare rāga.
Ésus sème armes, ruses amères.
Mère pleure, implore : pour lui, moi-même meure !

Ni
su la
meute « Mort ! »
hurler ni « Haine ! ».

Été
assassin. Nais,
enfant nu, au néant.
Soir. Froid effare désir roide.

Tôt
sauras
aller seul
où le silence


Ayant récemment repris la contrainte du tétraktys définie en 2015, j’essaie ici une structure modifiée comme me l’a suggéré Annie Hupé, arrangeant les strophes dans l’ordre S1 S2 S3 S4 S1 S2 S3 S1 S2 S1 , qui me paraît une heureuse disposition rappelant le bigollo ( pour les notations, voir la définition sur ma page de contraintes ). On tente ici un tétraktys exagéré en un sens légèrement différent de l’exagération usuelle : ici, dans chaque strophe, le n-ème vers compte n voyelles et n consonnes. Gilles Esposito-Farèse m’a suggéré l’appellation « isostichovocaloconsonantisme ».
Publié sur la liste Oulipo le 22 mai 2023.

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L’amour est un voyage

Éteint,
là, pâle.

L'on attend sa nuit.

Non !

La tête
on secoue.

On s'est tu,
écoutant le noir.

On n'a pas peur.
Nu.

Rien gagné
ni foiré.

Aime, cœur obscur.

Va
d'ornière en coteau,

du terrier
au fond de l'eau.

Te meurtrit dard ?
T'irritent ronceaux ?

- n'alentiront sauts.

Ne crains ni crois.
Erre,

dévie,
dérape, fou.

Loin du bien, du mal,

peau à peau trouve
l'éveil

antan duit
par un émoi neuf.

Là,
plonge en eau lunaire,
riant de ton deuil,

et

la
marée

te
portera au loin.

Ce poème est un essai de codage exagéré. Ça part d’un codage des lettres de l’alphabet en base 5, remplaçant toutefois le chiffre 0 par 5 :

blanc a   b   c   d   e   f   g   h   i   j   k   l   
5     1   2   3   4   15  11  12  13  14  25  21  22  

m   n  o   p   q   r   s   t   u   v   w   x   y   z
23  24 35  31  32  33  34  45  41  42  43  44  155 151

Ceci peut se résumer dans le tableau :

où le symbole & représente les blancs et caractères non alphabétiques.

Étant donné un texte à coder, on construit alors un poème dans lequel à chaque lettre du texte est associée tour à tour une strophe ayant autant de vers que de chiffres dans le code de cette lettre, et telle que dans chaque vers le nombre de syllabes, de voyelles et de consonnes est égal au chiffre concerné. On code les blancs par 5, ainsi que les apostrophes et ( mais ceci peut s’améliorer ) toutes les ponctuations éventuelles.

Par exemple la lettre i, de code 14 en base 5, peut se coder par

« Je
te coderai »

On remarque donc que ceci est un nouvel exemple d’isosyllabovocaloconsonantisme. Dans l’essai ci-dessous, le poème est un codage exagéré de son titre. Voici le codage de celui-ci en base 5 :

22 5 1 23 35 41 33 5 15 34 45 5 41 24 5 42 35 155 1 12 15

Publié sur la liste Oulipo le 15 mai 2023.

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Dans l’abri chante une soldate

Une
chanson
ressurgie
du monde heureux.

Chanteuse
enveloppée
mystérieusement
des lumières mal affirmées.

Son
froid du
souterrain,
qu'amuït ténèbre.

Sourde peur
imprégnant, indicible,
diffuse, leurs regards enflammés
accompagnant intensément lente cantate.

Soldats
rêvant chacun
aux candeurs, tant mutines,
des enfants jadis exaltés.

Balancement
lent, nostalgique, quand soudain
obscurément revivent lointaine amitié,
renaissant après harassantes années. Parenthèse atone.

Slave
chant triste
vogue au seuil
du cœur blessé.

Nuit mourante
annihile, mauvaise,
toutes poésies illuminantes.
Quelle solitude environne bataillon.

Dressés,
alors ils disent,
en tremblant, le soleil
toujours brillant quand chant entonnent.

Et
ce chant
va gaiement.

La tetraktys est une contrainte inspirée de la figure du même nom de Pythagore

illustrant la formule 1+2+3+4=10 , et à laquelle ses disciples attachaient un véritable culte.
Comme contrainte, la tetraktys consiste en 10 strophes de 4 vers comportant respectivement x, 2x, 3x et 4x syllabes (une telle strophe sera désignée Sx dans la suite). On disposerait alors dix strophes de la façon suivante:

         S4 
      S3    S3 
   S2    S2    S2 
S1    S1    S1    S1

Par commodité, ceci est linéarisé de la façon suivante : S1 S2 S1 S3 S2 S4 S1 S3 S2 S1.
Commencée il y a assez longtemps, et remise jusqu’à aujourd’hui faute de temps, cette tetraktys est telle que dans une strophe Sx est appliquée une sympathie stricte d’ordre x. Ce poème était inspiré par une vidéo en provenance d’Ukraine que je ne retrouve malheureusement pas.
Posté sur la liste Oulipo le 11 mai 2023.

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La non consentante

L'étale
roi. On
la tale,
sus : - Non !

Elle -ire-
saut sut.
L'élire ?
- Son su.

Ce muret ( bobet d’ordre 2 ) suit la contrainte d’exagération, aussi appelée isosyllabovocaloconsonantisme introduite dans « Décis, mal en pis » : dans chaque vers on trouve le même nombre de syllabes, de voyelles et de consonnes. Une surcontrainte ajoutée par Gilles Esposito-Farèse impose que soient formés des couples voyelle-consonne apparaissant ensemble dans les mêmes vers, ici
a-t, e-l, i-r, o-n, u-s.
De plus on impose ici une répartition aussi équitable que possible : 3 a, 4 e, 3 i, 3 o, 3 u (4 e pour assurer les rimes féminines ). Les premières voyelles sont placées de façon à lire aeio…u et de même les dernières voyelles. Ceci détermine complètement la composition de chaque vers en voyelles et consonnes.
Publié sur la liste Oulipo le 8 mai 2023.

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Le matin m’a réveillé

Le matin m'a réveillé
D'un coup de soleil sur le nez

J'ai trouvé le sucrier
La tranche de pain beurré
Le bol le café passé
La baie au verre embué
Comme toujours au déjeuner

Sans hâte j'ai enfilé
Ma doudoune en gros duvet
J'ai bien refermé le loquet

Sur le trottoir déserté
J'ai reniflé le vent frais
La bourrasque m'a giflé
D'un envol échevelé
Je suis parti sans hésiter

Des heures j'ai cheminé
Tassant la neige du pied
Par les champs immaculés
Et les taillis dénudés
Seul ébloui déboussolé

Mais sans savoir où j'allais
Comme un démon l'œil mauvais
Comme un cheval emballé
Ce jour enfin je savais
La question que j'allais poser

J'étais si désespéré
J'étais si près de m'étouffer

Marchai toute la journée
Entre les arbres parés
De cristaux illuminés
Par le soleil maigrelet
D'un hiver endimanché
Mais point ne les ai regardés

Une rumeur m'a guidé
Au fond d'un versant mauvais
J'ai couru dégringolé
Et dans la nuit qui tombait
Ce que je cherchais j'ai trouvé

Roulant de son flot altier
Des blocs de glace dorés
Par l'astre qui s'endormait
Il passait sans s'arrêter
Calme puissant et secret
Le grand fleuve qui murmurait

Sur la berge me tenais
Silencieux les yeux fixés
Sur le courant que menait
Une étale volonté
Et dans mon cœur j'entendais
Sa lente voix qui me parlait

Que viens-tu me demander
Ne dis rien je te connais
De solitude enveloppé

À mon bord tiens-toi penché
Tes mains viens les immerger
En mon tourbillon léger
Longuement lave tes pensers

Je vais sans rien posséder
Sans devoir sans exiger
Nul ne m'attend sur un quai
Tu me regardes je vais
Quand auras les yeux fermés
Sans ton souvenir j'irai
Dans la clameur d'éternité

Longtemps je l'ai contemplé
Je sentis à mon côté
La douleur se dissiper
Qui m'empêchait de respirer

Et je sus tel le galet
Au fleuve prise donner
Le laisser me retourner
Me soulever m'emporter
Sans savoir où me menait
Douloureux sourd insensé
Ce courant où je n'avais pied

Lors je compris qu'étais né
Ce jour et qu'appartenais
À la vague que gonflait
Sans la moindre volonté
Libre de nécessité
Ce grand mouvement ondulé

Vous dieux que j'ai désirés
Êtes-vous morts crucifiés
Êtes-vous au monde nés
Dans le vide illuminé
Je suis par le fleuve entré
Épousant le long filet
D'une fluante pauvreté

Comme dans « Clotilde » de Guillaume Apollinaire, chaque strophe est composée de vers de 7 syllabes, et d’un dernier vers de 8 syllabes. Ce poème avait déjà inspiré la forme clotilde introduite par Annie Hupé.

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