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Caravelle déroutée

un jour
l'homme à la figure grise
par force
en déchargeant ses mousquets
s'est emparé du navire
alors
nous qui voguions vers l'azur
nous avons perdu le cap
louvoyé contre le vent
la cale
fit embourrer de son or
de son fabuleux trésor
et la coque s'enfonçait
dans la fange d'une eau trouble

les uns
ont rejoint d'autres esquifs
les autres
se sont laissés débarquer
sur des rives désolées
en pleurs
ils ont vu la voile bleue
d'un vent orgueilleux gonflée
disparaître sans un signe

adieu
compagnons que nous aimions
hélas
plus personne n'a les cartes
nul ne scrute le sextant  

et moi
je rêve au fond de la cale

qui sombre

Ce poème était joint à ma réponse à un correspondant s’inquiétant de la disparition de plusieurs représentants appréciés de la twittérature, qui ont déserté ce réseau social à la suite de l’appropriation de celui-ci par Elon Musk. Sa structure articulée en vers de 2 et 7 syllabes suit un processus d’augmentation/diminution s’inspirant un peu de celle du bigollo.

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Fées

C'est l'histoire
d'un plafond de verre.
L'histoire d'un prince charmant,
l'histoire de Perrette brisant son pot au lait,
de la marâtre aux jambes velues et de la jeune fille pure aux mains si douces.

Forcément :
elle n'est pas sûre,
elle n'a pas assez de punch.
Elle se recroqueville avant de se lancer.

Délicieuse...
Grâce et fantaisie...
Elle apporte tant de fraîcheur...

C'est l'histoire.
C'est pas vrai, bien sûr.

Pas chez nous.

Bigollo composé le 8 mars, journée internationale des droits des femmes.

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Anniversaire

Un ciel bleu.
Une terre jaune.
Des missiles zébrant le bleu.
Mines dans le jaune et le paysan se désole.
Marron blindés, marron fumées et gaz, marron les ruines, marron les uniformes.

Regard bleu,
peau sèche peau jaune,
cadavre dans la flaque bleue.
Sous la belle jupe jaune, douleur sans remède.

Du lin bleu
choit corolle. Jaune.
L'hiver étale sa rancœur.

Le ciel bleu
sur la terre jaune.

Bleu, pourtant. 

Ce 24 février, c'est le premier anniversaire de l'agression militaire perpétrée par la Russie de Poutine contre l'Ukraine. Guerre inhumaine toujours pas terminée. Ce bigollo pour commémorer ce triste jour et saluer la résistance du peuple ukrainien.

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Systoles

Séisme

c'est un père
qui serre en sa main
les doigts de sa petite fille
il murmure pour elle seule des mots très doux
il a sur lui son bel anorak orange elle a sur elle ce bloc de béton

le vacarme
des hommes qui courent
des folles pelles mécaniques
il ne l'entend ni les peurs les appels la douleur

c'est un père
qui serre en sa main
les doigts de sa petite fille

qu'ils sont blancs
ces doigts immobiles
au milieu de ces gravats gris
qu'ils sont froids plus froids que les bourrasques de l'hiver

c'est deux mains
qu'un amour unit

comme hier
ses bras vont s'ouvrir
il la serrera contre lui
à son cou s'enlaçant elle lui sera légère
il laisse errer sur le désastre tout autour un regard sans vie un regard vide

les secours
ne sont pas venus
la nuit tombe le froid s'inflige
la poussière et les carcasses ne répondent rien

c'est un père
qui serre en sa main
les doigts de sa petite fille

à l'horloge
l'aiguille des heures

s'est figée

Un tremblement de terre a ravagé une large zone en Turquie et Syrie, avec un bilan humain épouvantable. Une photo prise à Kahramanmaras d’un père, Mesut Hancer, tenant la main de sa fille Irmak morte, a ému le monde entier. Elle a inspiré ce bigollo à structure bousculée.

© AFP – Adem ALTAN

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Oripeaux

derrière les vitres

l'hiver file
le cercle se ferme
persiennes scellées et mes lèvres
le réveil déréglé s'inverse et le temps se freine
le verre de mes fenêtres se teinte de gris persillé de perles gelées
et je reste en ce prisme livide imprégné de mes velléités chétives entre l'éveil et le déclin de ce ciel inerte

vient léger
derrière les vitres
tel le rire des grives ivres
le petit cri d'invite de l'espiègle fillette
elle erre vive de pré en pré entre les spectres des pins empesés de neige

elle émet
de ses lèvres fines
ce minime signe indistinct
et revient le silence éphémèrement brisé
je tire le pêne viens vers elle et même si le pied ripe je me dépêche
de l'index levé vers ses lèvres elle m'intime de ne rien dire et tend ce même index vers les pics ceints de nimbes éthérés

de ses cils
frêle penne vibre
de ses dents brille le fier rire
de ses tresses d'ébène glisse le bercement
elle prend le sentier invisible en plein hiver et m'emmène en terres de gel

elle est reine
de ces neiges vierges
ces névés irisés de ciel
ces pierriers relevés de fins pendentifs de givre

me révèle
immense et limpide
cette sereine liberté

et je rêve
de rendre infinie

cette étreinte 

 

Grand bigollo bivocalique.

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La faute harmonique

accédant
au livre maudit
qui ouvrait la leçon du mal
j'appris à trahir mon maître sans jamais sortir
du paradis pâlissant qui m'avait jadis empli d'un bouillant amour pour l'art

sombre nuit
où chancelai nu
sous la main noire qui flattait
mû par un fol instinct comme couru d'un sang d'or

haletant
j'ai mangé sans faim
un poison fade m'a nourri

tout devint
sauvage jardin

où m'enfouis 

Dans ce bigollo lipogramme en E chaque vers présente toutefois une faute ( ou un clinamen ) dont, relativement au nombre de syllabes, l’emplacement se rapproche de plus en plus du nombre d’or [ou de son inverse selon le calcul] au fur et à mesure que croît la longueur du vers : 2/3 ; 3/5 ; 5/8 ; 8/13 ; 13/21.
Publié sur la liste Oulipo le 10 mai 2022

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L’opération de paix

ses sujets
nous le savons bien
sauront un jour la vérité
sauront qu'un puissant homme a fait d'eux des assassins 

ce jour-là
ils découvriront
sous des lambeaux de béton

un enfant 
dans des bras aimants

tout est mort

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la rivière

mon enfant
tu vois la rivière
son courant t’invite au grand large
tu   redoutes   sa   fraîche   accolade   et   tu   frémis
de tes yeux
tu vois la rivière
ma voix tremble en t’encourageant
de ton corps
tu sens la rivière
t’accueillir

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Le prix de la vie

signal a rôdé

à Aslı Erdoğan

Vers sauvages.
Œuvre où grave rage.
O Sœur à verve ravageuse !
Au rivage s’agrège vase où ruse s’égare :
Ose voguer, rouge gourse, sur vague susurreuse où vue ouvre vers aurore.

Aga voue
Œuvre où grave rage
A ses rouages égorgeurs.
Réseau gore agresse gueuse, rosse, serre gorge.

Sous servage,
Œuvre où grave rage
Verse sève à grosses gorgées.

Sage orage,
Son lied noir de rage

Sauve rêve.

Ce poème accueilli par Hélène Verdier sur son beau site Simultanées dans le cadre de La Ronde de septembre 2016 dont le thème est « ouvrage(s) », est dédié à Aslı Erdoğan,  femme de lettres emprisonnée dans les geôles turques. Ce texte suit la contrainte du beau présent selon laquelle il est écrit
avec les seules lettres eu mot « ouvrages ». La forme utilisée est le bigollo  : dans chaque strophe les vers ont pour longueur les nombres successifs de la suite de Fibonacci 3-5-8-13-21… et les strophes sont de longueur décroissante; par ailleurs les vers de longueur 5 sont identiques, formant une sorte de refrain. En hommage à la dédicataire, un double clinamen (dérogation aux contrainte) est ménagé dans l’avant dernier vers : il ne respecte pas la règle du refrain, et ses lettres sont en beau présent sur le nom « Aslı Erdoğan ».

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Vagabondages

Vagabondages

Ce recueil expérimente une forme de poèmes basés sur les suites de Fibonacci. Leonardo Fibonacci ne s’est jamais de son vivant nommé ainsi : il se faisait appeler Leonardo Bigollo ou Leonardo Pisano. En hommage à ce mathématicien important -c’est notamment lui qui introduisit en Europe les chiffres arabes- cette forme est intitulée « bigollo » ce qui signifie en Italien « Vagabond ».

Ces poèmes sont basés sur la suite de Fibonacci(3,5) dont les premiers termes sont:
3 – 5 – 8 – 13 – 21 – 34 – …
(chaque terme étant la somme de ses deux prédécesseurs). Le quotient de deux termes successifs se rapproche de plus en plus du nombre d’or, proportion idéale des anciens.

Les longueurs des vers de ces poèmes sont données par les premiers éléments de cette suite. Ces textes sont formés de suites à départ décalé, de plus en plus courtes. Le vers de longueur 5 sert de refrain. On trouve des bigollos simples (3-5-8-3-5-3), grands (3-5-8-13-3-5-8-3-5-3), très grands (3-5-8-13-21-3-5-8-13-3-5-8-3-5-3).

un aven

un vagabond

bigollo a Dora

il bigollo

ce n’est rien

au déclin

le planeur

par carte bleue

la virée

il bravo

Lavande et Zygène

Rire ouvre marges

déploiement

sous l’horizon

les contrebandiers

mots d’enfants

vent sauvage

envol

la forêt

La bréhaigne

L’image illustrant cette page montre un poème isocèle que Strofka m’a fait l’honneur de réaliser le 21 mars 2013 en utilisant des passages d’un poème de ce recueil: « il bravo ».