On ne voit en ce funèbre goulet Nulle couleur, nulle courbure belle. Rien que pruine, rien que béton croulé En ce long bourg qui penche et encorbelle, Piège terrible, grotte où le cœur gèle. Ni tourterelle en ce ciel boutonné, Ni ritournelle, ni vol effréné. Tige ni feuille le tronc noir ne porte. Herbe flétrie, terre-plein retourné. O quel vent fier peut ouvrir une porte ? Tel un fleuve qui peine pour filer Pour ce qu’un bief étreint le flot rebelle, En ce couloir fou grouille refoulé Un cortège lent, et l’heure cruelle Tourne. Que cherchent en cette ruelle Jeune, vieux, fille, peuple confiné, Front penché, lèvre pincée, œil tourné ? Foule qui peine, piétine, reporte Lutte et foi, pour ce vivre portionné. O quel vent fier peut ouvrir une porte ? Qui voit en cette robe, en ce gilet Revêtu pour un jour en bleu prunelle, Ce linge noir terreux, ce cou brûlé, Coton bourré, brune coulure grêle, Cette terreur qui hurle nue et frêle ? Qui lit en ce bel œil vif étonné Le récit horrifié qui vient ruiner Le rêve en toute nuit lugubre et torte ? Et ce ventre que brûle trop jeûner ? O quel vent fier peut ouvrir une porte ? Peuple en tout lieu répète un cri tonné Qu’en linceul jette un prince forcené. Elève une voix inflexible et forte : Que ceux qui pleurent voient le jour tourner. O quel vent fier peut ouvrir une porte ?

Cette photo prise par un représentant de l’ONU montre une distribution de vivres le 31 janvier 2014 à Yarmouk, faubourg de Damas peuplé de réfugiés palestiniens. Elle m’a inspiré cette ballade lipogrammatique : en sont absentes les lettres du mot DAMAS.
Une interprétation musicale m’a été offerte par Jacques Ponzio, lisant le texte accompagné en improvisation par lui-même au piano et par le violoncelliste slovène Cosic. À écouter ci-dessous :

Posté sur la liste Oulipo le 8 mars 2014.
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