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Alzheimer

tous les arbres
que tu as chantés
poétesse au sourire frais
se dressent-ils encore à la cime des collines
se souvenant pour toi d'émois que tu partageais avec le vent plein de caresses

la mémoire
doucement s'en va
seul le sourire t'est resté
et ton amour des plantes des bêtes des enfants

plus de mots
juste quelques peurs
dont il faut te réconforter

moi je sais
que tu as chanté

tous les arbres

Un bigollo pour celle qui entre aujourd’hui au Cantou.

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Souvenir

le caillou plat se souvient
de la main qui l'a jeté
comme je me souviens de toi

il tournoie et tout autour
le monde à rebours tournoie
la main s'éloigne peu à peu

de bonds en rebonds il va
et perdure l'illusion
qu'un peu de toi vole avec lui

mais les bonds se font petits
petits plus petits encor
puis tout s'arrête il coule au fond

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impression, fin d’après-midi

jaune bleue
verte rouge orange
les tentes parapluies en grappe
illuminent le passage sous la voie ferrée
les enfants en lambeaux dardent leurs grands yeux tandis que tonitruant le train roule
quelques plots de béton séparent le tracé piétonnier d'étranges campeurs qui recomptent quelques gadgets à vendre à la sauvette

où vont-ils
les piétons pressés
se hâtant vers la belle gare
aux rames qui s'ébranlent au nord à l'est au sud
sans que leur regard las rencontre celui de ces enfants doux et multicolores

deux fillettes
entourent leur père
en fauteuil de handicapé
il sourit et sort d'un sac en papier l'abricot

son poignard
brille il tranche et tend
à chaque fille une moitié

la cadette
rose de plaisir

bat des mains

Bigollo, peint d’après nature.
Publié sur la liste Oulipo le 29 juin 2024.

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L’araigne

Qu'un grêle silence en mon âme règne,
implacable araigne et qui rôde et rit.
Nulle souvenance hélas ne s'inscrit
en mon cœur gommé qu'un vent morne baigne.

Ô gel sibérien, méchante duègne
qui ne vient semer, de son doigt proscrit,
dans ma tête rien, en ce jour suri,
qu'un grêle silence. Implacable araigne.

Nulle souvenance en mon cœur gommé.
Ô gel sibérien qui ne vient semer
dans ma tête rien qu'un grêle silence.

Nulle souvenance. Ô gel sibérien !
Dans ma tête, rien. Nulle souvenance
dans ma tête. Rien. Dans ma tête, rien.

Sonnet auto-acrostiche d’hémistiches, une contrainte introduite en 2020 par Gilles Esposito-Farèse. Tentative d’exprimer ce que tentait de me faire comprendre une personne proche bien incapable de le dire.
Publié sur la liste Oulipo le 10 janvier 2024.

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Fati et Marie

d'ici vint
le printemps arabe
cet espoir d'un monde de frères
ici vint la haine et le meurtre envers l'étranger
ici titube Fati que le soleil mord la faim torture la soif rend folle

elle tient
la main de Marie
la petite fille qu'elle aime
qui titube et qui gémit et que la soif rend folle

des soldats
en les injuriant
les ont conduites en camion
sous la menace de leurs armes automatiques
ils les ont forcées à descendre au milieu du désert ils les ont abandonnées

sur le sable
le sable brûlant
leurs pieds nus impriment l'oubli
de cet espoir qu'elles avaient eu d'un lieu de paix

Fati chute
la petite fille
la secoue appelle supplie

puis vient sur
deux corps enlacés

le silence 

Bigollo écrit en réaction à la mort de Fati et sa fille Marie, 6 ans, abandonnées dans le désert par des soldats Tunisiens suivant les consignes du dictateur du pays.

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Pénombre

Ta voix était chaude.
Tu enseignais tous les chants.
Tu ne chantes plus.

L'infirmière au beau sourire
vient remplir le pilulier.

Les cheveux au vent,
nous menais par prés, par monts.
Tu restes assise.

À ta fenêtre tu guettes
le lent ballet des nuages.

Tu nous apprenais
les noms des fleurs, des insectes.
Ta mémoire est vide.

Le docteur d'une voix douce
lâche le mot dépendance.

Ta cuisine avait
les saveurs de la garrigue.
Le gaz est éteint.

L'homme obscur, au pas de course,
livre le repas du jour.

Tant d'enfants couraient
t'accueillir, te faire fête.
Seule, tu attends.

Des téléphones lointains
calculent ta destinée.

Nous nous sourions.
Quelques bribes te reviennent
d'un bonheur sans hâte.

Le soleil se fait moins dur :
on peut ouvrir les volets.

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Séisme

c'est un père
qui serre en sa main
les doigts de sa petite fille
il murmure pour elle seule des mots très doux
il a sur lui son bel anorak orange elle a sur elle ce bloc de béton

le vacarme
des hommes qui courent
des folles pelles mécaniques
il ne l'entend ni les peurs les appels la douleur

c'est un père
qui serre en sa main
les doigts de sa petite fille

qu'ils sont blancs
ces doigts immobiles
au milieu de ces gravats gris
qu'ils sont froids plus froids que les bourrasques de l'hiver

c'est deux mains
qu'un amour unit

comme hier
ses bras vont s'ouvrir
il la serrera contre lui
à son cou s'enlaçant elle lui sera légère
il laisse errer sur le désastre tout autour un regard sans vie un regard vide

les secours
ne sont pas venus
la nuit tombe le froid s'inflige
la poussière et les carcasses ne répondent rien

c'est un père
qui serre en sa main
les doigts de sa petite fille

à l'horloge
l'aiguille des heures

s'est figée

Un tremblement de terre a ravagé une large zone en Turquie et Syrie, avec un bilan humain épouvantable. Une photo prise à Kahramanmaras d’un père, Mesut Hancer, tenant la main de sa fille Irmak morte, a ému le monde entier. Elle a inspiré ce bigollo à structure bousculée.

© AFP – Adem ALTAN

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Trois amis

Il a de nouveau levé ses mains, paumes ouvertes, vers le symbole d’espérance en marmonnant deux phrases sacrées, puis s’est retourné vers la poignée de parents, vers les anciens collègues qui avaient suivi silencieusement le déroulement de cette belle cérémonie.

Y a-t-il, invita l’officiant, parmi ses proches et ses amis une personne qui souhaite évoquer le souvenir d’un moment fort partagé avec Raymond ?

Eut-il le sentiment d’être au fond d’un puits quand l’écho de sa voix rencontra ce vide lourd qui stagnait entre ces cousins et ces voisins, incapables de se rappeler le moindre échange avec le défunt ?

Un pigeon, traçant inlassablement des diagonales sous la coupole de béton dont la lumière bleutée l’emprisonnait, scrutait à chaque passage l’assistance pétrifiée, s’étonnant de ce silence qui rendait assourdissant le froissement de ses ailes.

Grand coup de tonnerre : s’ouvrent à plein fracas les deux battants du porche, laissant le passage au titubement sonore de quatre pieds de fonte : le banc public du square Paul Éluard s’approcha lentement de la tribune et se tourna vers le cercueil de carton gris.

Rire nerveux, légère agitation des mains, toux furtive : la surprise cédait la place, dans les rangs de l’assistance, à une incompréhension mêlée d’une pointe d’irritation.

Triste, le banc grinça longuement, puis il prit la parole:

La fraîcheur du soir ramenait chaque jour Raymond vers moi, s’aidant de sa canne caoutchoutée, et j’étais heureux de sentir ce poids léger retrouver le confort de ma planche galbée, pour un long moment de rêverie que nous partagions en silence.

Pendule, approche-toi pour rappeler avec moi ces choses simples de tous les jours : un petit homme toujours vêtu d’un gilet de laine bleue contemplait avec moi sans bouger quelque mère poussant avec douceur un landau protégé d’une moustiquaire et tournant vers nous un sourire tranquille, quelque chien boiteux ponctuant d’un faible grelot chaque virage de sa trajectoire aléatoire, quelque désordre de mésanges se disputant les miettes d’une gaufrette, et nous attendions ensemble que tu égrènes tes sept tintements cristallins, signal de la fermeture du square.

S’avançant à son tour l’horloge, qui avait déserté le poteau métallique où les promeneurs avaient coutume de la consulter prés de la fontaine centrale du petit square, rejoignit lentement le banc de bois, abaissa sur le défunt ses deux aiguilles de laiton doré, puis évoqua le jour où l’enfant trébucha sur la racine d’un platane, où Raymond se leva d’un bond, se précipita vers ce petit aux pleurs assourdissants, nettoya la plaie de son joli mouchoir beige, et découvrit au fond de sa poche un bonbon à la violette qui fit cesser les larmes et les cris, et – dit-elle – je vous revois tous les trois, le vieil homme, l’enfant, assis côte à côte, et toi le banc, qui de bonheur paraissais plus droit et plus brillant qu’à l’ordinaire.

Arrêta de battre plusieurs minutes la pendule du square Paul Éluard, que l’émotion fit retarder pour la première fois de son existence .

Une seule occasion – ce fut ce jour-là – reprit le banc public, m’a permis d’entendre la voix de Raymond, une voix douce et qui chantait un peu, une voix qui laissait filtrer une émotion vraie, comme amoureuse… et depuis j’ai tant de fois espéré l’entendre à nouveau, mais non, mon ami se contentait de s’arrêter devant moi, et de me caresser un instant d’un geste un peu gauche avant de s’asseoir.

Bête que je suis, bien sûr que ce n’était pas une caresse : il essuyait simplement sa place pour casser quelques graines tombées des arbres !

Fauve à l’origine, par la fantaisie d’un employé de mairie las de l’éternel vert sapin des bancs de la commune, le vieux siège mois après mois avait pris une teinte indéfinissable, un brun vaguement rosé, où tranchait une zone totalement dépeinte, à l’endroit que Raymond choisissait toujours pour s’installer.

Sauvait sa peau qui pouvait, dans les temps anciens, poursuivit cet humble mobilier urbain, les corps étaient maigres, les dos cassés et les mains calleuses, mais on ne laissait pas un vieillard seul dans son coin, comme Raymond qui pendant de longues années n’avait plus rencontré quelqu’un pour parler, sauf cet enfant… et sauf moi bien entendu, avec qui ces quelques heures quotidiennes étaient devenues une conversation silencieuse qui nous faisait du bien à tous deux.

Ses moindres tics, ses manies, nous les savions par cœur.

Petits plissements du nez quand le soleil sortait soudain d’un nuage, sifflotement sur deux tons lorsqu’un moineau s’approchait des miettes qu’il avait éparpillées, tâtonnement de la main pour vérifier cent fois que sa canne était toujours posée à côté de lui,autant d’occasions pour échanger, la pendule et moi, des clins d’œil joyeux.

Rires d’un groupe d’enfants, se souvient l’horloge, aboiement du chien de la joggeuse de seize heures trente, pétarade de la tondeuse, au moindre bruit nous le voyions tressaillir, frissonner, puis il suivait d’un regard plein de passion l’évolution du phénomène.

Opaques soirs d’automne où l’ombre tombait vite et le jardin restait désert, saturé d’une brume qui nous emplissait tous trois d’une humeur grise, où les oiseaux transis cessaient de chanter, et nous restions comme trois pierres rejetées par un fleuve, écoutant le raclement sur le sol des feuilles tournoyantes.

Dans ces moments-là nous avons parfois vu Raymond partir d’un rire tonitruant, un rire fou, le rire de celui dont un souvenir atroce remontant à la surface vient soudain raviver une plaie ancienne.

Des rangs de l’assemblée, pas un souffle ne troublait le silence médusé d’hommes à qui même le visage de Raymond ne rappelait plus rien.

Cadres supérieurs, employées de bureau, manutentionnaires, cuisiniers, ils avaient suivi chacun leur chemin sur une terre qui colle aux semelles et qui engloutit ceux qui ne courent pas assez vite.

D’un coin reculé du petit édifice un soupir imperceptible échappa des lèvres d’une vieille femme au visage envahi de rides, qui avait jugé convenable de venir se recueillir sur cet homme chez qui, s’apercevant que sa porte d’entrée ne fermait pas, elle avait voulu porter une lettre restée bien longtemps sur la fente de sa boîte obstruée par les prospectus, et l’avait découvert étendu sur le sol depuis plusieurs mois.

Agonie sans tapage du vieillard qui tombe un jour, abandonné par ses forces, sur un carrelage dont le damier beige et jaune un peu sale, un peu usé, s’imprime dans ses yeux qui savent ne plus devoir rien regarder d’autre jusqu’au bout de l’attente.

Autant, pensa l’officiant lorsqu’il vit les deux amis descendre les trois marches et, après un instant de recueillement devant la pauvre boîte que nul n’avait songé à fleurir, regagner le portail dont les vantaux se refermèrent en grinçant, autant clore ici le rituel, libérer tous ces pauvres gens, et laisser longuement sonner l’enregistrement de cloches en stéréo.

De quelques versets traditionnels fut conclue la cérémonie et les lumières se rallumèrent tandis que le cercueil sortait de la pièce sur quatre roulements à billes.

Nudités dernières, instants où l’on ne peut tricher, regards sans appel que dardent à travers la paroi les cadavres défilant entre deux rangs de visages qui ne peuvent faire autrement que d’être là.

Tournant les talons dès l’ouverture de la porte, chacun s’éclipsa très vite et le soleil de la rue vint laver cette grisaille gluante qui s’était collée sur les visages et sur les épaules.

En débouchant sur le trottoir où régnait à nouveau la vie hâtive et klaxonnante, les cousins du défunt aperçurent la pendule et le vieux banc retirés à l’écart dans l’ombre d’un mur aveugle sur lequel tout collage d’affiche était défendu sous peine de poursuite.

Dérision salutaire après cet épisode où mille invisibles nœuds avaient comprimé leur poitrine jusqu’à l’asphyxie, trois cousins de Raymond firent mouvement vers le couple insolite, déréglèrent les aiguilles, puis s’asseyant lourdement sur le banc s’essayèrent à des poses lascives.

Leur élan parut se briser : leurs gestes devenaient moins vifs, leurs sourires s’effaçaient petit à petit, l’un après l’autre ils s’immobilisèrent et leurs figures rendues cireuses devinrent le visage de la tristesse même.

Pâleur du soleil de novembre dont le nimbe ôte à la ville son relief, dissout les couleurs de son acide transparence et retire toute consistance à ce groupe d’hommes accablés sur les joues grises desquels seule scintille une furtive larme.

Tournant le coin d’une allée reculée, cimetière Saint Roch, j’ai découvert sous l’ombre fraîche d’un catalpa la tombe de Raymond, un homme que je n’ai pas connu.

En face de la plaque déjà presque effacée se tenait un banc public bizarrement peint de la couleur des feuilles mortes ; sur le côté, au sommet d’un poteau métallique, était perchée une pendule dont les aiguilles ne tournaient plus ; et tout cet ensemble, qu’à l’évidence personne ne venait jamais entretenir, était recouvert d’une poussière donnant l’impression d’un éternel crépuscule.

Dérision posthume réservée par une famille facétieuse à quelque disparu par trop original ? respect d’une dernière volonté découverte avec stupeur à l’ouverture d’un testament ? dispositif imaginé par une veuve impotente qui pouvait ainsi venir s’asseoir pour se recueillir sur la tombe du compagnon de toute une vie ?

Les recherches m’ont permis de remonter jusqu’au registre dans lequel l’officiant a rapporté la cérémonie qui l’avait déterminé à ne pas séparer trois amis que la vie avait si étroitement unis.

Yeux tout embués, indifférent à l’heure tardive, après avoir refermé le cahier dont l’encre dansait encore devant moi, j’ai marché jusqu’au cimetière dont la grille fermée m’interdisait de revoir cette scène qui occupait toute ma pensée.

Vertueux clerc, capable à ce point d’émotion, quelles démarches te furent-elles nécessaires, quel sacrifice sur ton petit salaire, quelle ténacité pour faire bâtir cette absurde tombe pour un vieillard oublié de tous ?

Du petit square ainsi reconstitué, les oiseaux du quartier on fait leur royaume, mésange, moineau, pic épeiche, hoche-queue, et de leur manège désordonné le vieux banc, l’horloge arrêtée, le vieil homme endormi ne perdent pas une miette.

Phare sans lumière, au milieu du ressac des saisons, l’immobile trio ne cesse de scruter la dérive des vies échouées.

Des personnes qui assistèrent aux obsèques, mes recherches n’ont pu retrouver la moindre trace : toutes sauf Raymond, le banc, la pendule, ont sombré dans les ombres molles de l’oubli.

Naufrages.


Le présent texte est ma contribution à la Ronde de mai 2018, dont le thème était « souvenir(s) ». Il a été publié sur le beau site de Jacques « La vie de Joseph Frisch » tandis que j’accueillais avec joie Hélène Verdier pour son magnifique « Faux-Dormants ». A la manière d’un célèbre poème crypté adressé par  Alfred de Musset à George Sand, ce poème en prose est un acrostiche de mots : Chaque vers (prenant ici la dimension d’une strophe entière) commence par l’un des mots du poème de Paul Eluard « Souvenir affectueux ».

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Des poèmes pour une humanité dont le cœur battrait.

Les titres ci-dessous dépourvus d’un lien sont à rechercher sur l’archive de l’ancien site http://www.talipo.fr, en se reportant aux liens fournis dans l’article « Index des articles archivés »

Les souvenirs d’une mère

Trois amis

l’homme étrange

l’oiseau

passage

neige

Suite berlinoise 1 Linden 2 Insel 3 Einsinken 4 Mutter 5 Gedenkstätte 6 Oberbaum

lampe au loin

j’ai regardé l’eau

Séisme

Pénombre

Fati et Marie

L’araigne

impression, fin d’après-midi

Souvenir

Alzheimer