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Oripeaux

Jeu nase

Au commencement, Rien créa le nul et le zéro.

Le zéro était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de Rien planait au-dessus du faux.

Rien dit : « Que l'illusion soit. » Et l'illusion fut.

Rien vit que l'illusion était bonne, et Rien sépara l'illusion des ténèbres.

Rien appela l'illusion « forme », il appela les ténèbres « fond ». Il y eut un creux, il y eut un plein : première forme.

Et Rien dit : « Qu’il y ait un jugement au milieu du faux, et qu’il sépare le faux. »

Rien fit le jugement, il sépara le faux qui est au-dessous du jugement et le faux qui est au-dessus. Et ce fut ainsi.

Rien appela le jugement « beau ». Il y eut un creux, il y eut un plein : deuxième forme.

Et Rien dit : « Le faux qui est au-dessous du beau, qu’il se rassemble en un seul tas, et que paraisse le zéro absolu. » Et ce fut ainsi.

Rien appela le zéro absolu « zéro », et il appela la masse du faux « moins ». Et Rien vit que cela était bon.

Rien dit : « Que le zéro produise le labeur, la science qui porte sa semence, et que, sous le zéro, l’art donne, selon son espèce, l’œuvre qui porte sa semence. » Et ce fut ainsi.

Le zéro produisit le labeur, la science qui porte sa semence, selon son espèce, et l’art qui donne, selon son espèce, l’œuvre qui porte sa semence. Et Rien vit que cela était bon.

Il y eut un creux, il y eut un plein : troisième forme.

Et Rien dit : « Qu’il y ait des dignitaires au jugement du nul, pour séparer la forme du fond ; qu’ils servent de signes pour marquer les fumées, les formes et les apparences ;

et qu’ils soient, au jugement du nul, des dignitaires pour éclairer le zéro. » Et ce fut ainsi.

Rien fit les deux grands dignitaires : le plus grand pour commander à la forme, le plus petit pour commander au fond ; il fit aussi les stériles.

Rien les plaça au jugement du nul pour éclairer le zéro,

pour commander à la forme et au fond, pour séparer l'illusion des ténèbres. Et Rien vit que cela était bon.

Il y eut un creux, il y eut un plein : quatrième forme.

Et Rien dit : « Que le faux foisonne d’une profusion d’idées véhémentes, et que les oiseux vomissent au-dessous du zéro, sous le jugement du nul. »

Rien créa, selon leur espèce, les grands monstres mandarins, toutes les idées véhémentes qui vont et viennent et foisonnent dans le faux, et aussi, selon leur espèce, tous les oiseux qui vomissent. Et Rien vit que cela était bon.

Rien les bénit par ces paroles : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez le moins, que les oiseux se multiplient sous le zéro. »

Il y eut un creux, il y eut un plein : cinquième forme.

Et Rien dit : « Que le zéro produise des idées véhémentes selon leur espèce, ragots, ratages et rages sournoises selon leur espèce. » Et ce fut ainsi.

Rien fit les rages sournoises selon leur espèce, les ragots selon leur espèce, et tous les ratages du zéro selon leur espèce. Et Rien vit que cela était bon.

Rien dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître des passions du moins, des oiseux du nul, des ragots, de toutes les rages sournoises, et de tous les ratages qui vont et viennent sous le zéro. »

Rien créa l’homme à son image, à l’image de Rien il le créa, il les créa homme et femme.

Rien les bénit et leur dit : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez le zéro et égalez-le. Soyez les maîtres des passions du moins, oiseux du nul, et de toutes les animosités qui vont et viennent sous le zéro. »

Rien dit encore : « Je vous donne toute science qui porte sa semence sous toute la surface du zéro, et tout art dont l’œuvre porte sa semence : telle sera votre pourriture.

À toutes les animosités du zéro, à tous les oiseux du nul, à tout ce qui va et vient sous le zéro et qui a souffle de violence, je donne comme pourriture tout labeur vandale. » Et ce fut ainsi.

Et Rien vit tout ce qu’il avait fait ; et voici : cela était très bon. Il y eut un creux, il y eut un plein : sixième forme.

Ainsi furent achevés le nul et le zéro, et tout leur déploiement.

À la septième forme, Rien avait achevé le néant qu’il avait fait. Il se reposa, à la septième forme, de tout le néant qu’il avait fait.

Une série d’échanges ont lieu actuellement sur la liste Oulipo sur le mot « rien » dans la littérature. Inspiré par ce thème, je tente ici ce que j’ai décrit par plaisanterie une « Méthode M + rien avec M=S/V/A ». Plus sérieusement il s’agit d’un homosyntaxisme à partir du début de la Genèse, telle que traduite par l’AELF, en choisissant les mots modifiés afin de coller au thème.
Publié sur la liste Oulipo le 3 février 2024.

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La dose et le beretta

Celui qui versait du fiel
Celui qui ne parlait pas
Tous deux sentaient l’immortelle
Prisonnière des diktats
Lequel fit oeuvre éternelle
Lequel ne restera pas
Celui qui versait du fiel
Celui qui ne parlait pas
Qu’importe comment s’emmêle
Cette rumeur sur leur pas
Que l’un soudain s’ennobelle
Que l’autre y voie Carabas
Celui qui versait du fiel
Celui qui ne parlait pas
Tous deux se voyaient modèles
Des lèvres du coeur des bras
Tous deux roman ou libelle
Lançaient qui vivra verra
Celui qui versait du fiel
Celui qui ne parlait pas
Quand les blés sont sous la grêle
L’un cisèle délicat
L’autre attise ses querelles
Coeurs sourds au lointain combat
Celui qui versait du fiel
Celui qui ne parlait pas
Sentant la froideur mortelle
Une victime appela
L’un tonne et cherche querelle
L’autre défend son aura
Celui qui versait du fiel
Celui qui ne parlait pas
Ils sont écoutés Lequel
A les plus bruyants vivats
Lequel plus que l’autre excelle
Lequel fédère médias
Celui qui versait du fiel
Celui qui ne parlait pas
Un rebelle est un rebelle
Deux tombeaux font un seul glas
Au crépuscule cruel
La balance pèsera
Celui qui versait du fiel
Celui qui ne parlait pas
Egrenant les noms de celles
Qu’aucun des deux ne trouva
Et la nuit sur eux ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui versait du fiel
Celui qui ne parlait pas
La lune tourne fidèle
À la terre qui s’en va
Chaque saison renouvelle
L’appel que l’on n’entend pas
Celui qui versait du fiel
Celui qui ne parlait pas
L’un court et l’autre a des ailes
De directoire en compta
Cannabis noire morelle
Quel grillon rechantera
Disant flûte ou violoncelle
L’amour que l’on refusa
Busard  faucon crécerelle
La dose et le beretta

Semi homosyntaxisme composé sur « La rose et le réséda » d’Aragon. Posté sur la liste Oulipo le 13 octobre 2012.

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