Le matin m'a réveillé D'un coup de soleil sur le nez J'ai trouvé le sucrier La tranche de pain beurré Le bol le café passé La baie au verre embué Comme toujours au déjeuner Sans hâte j'ai enfilé Ma doudoune en gros duvet J'ai bien refermé le loquet Sur le trottoir déserté J'ai reniflé le vent frais La bourrasque m'a giflé D'un envol échevelé Je suis parti sans hésiter Des heures j'ai cheminé Tassant la neige du pied Par les champs immaculés Et les taillis dénudés Seul ébloui déboussolé Mais sans savoir où j'allais Comme un démon l'œil mauvais Comme un cheval emballé Ce jour enfin je savais La question que j'allais poser J'étais si désespéré J'étais si près de m'étouffer Marchai toute la journée Entre les arbres parés De cristaux illuminés Par le soleil maigrelet D'un hiver endimanché Mais point ne les ai regardés Une rumeur m'a guidé Au fond d'un versant mauvais J'ai couru dégringolé Et dans la nuit qui tombait Ce que je cherchais j'ai trouvé Roulant de son flot altier Des blocs de glace dorés Par l'astre qui s'endormait Il passait sans s'arrêter Calme puissant et secret Le grand fleuve qui murmurait Sur la berge me tenais Silencieux les yeux fixés Sur le courant que menait Une étale volonté Et dans mon cœur j'entendais Sa lente voix qui me parlait Que viens-tu me demander Ne dis rien je te connais De solitude enveloppé À mon bord tiens-toi penché Tes mains viens les immerger En mon tourbillon léger Longuement lave tes pensers Je vais sans rien posséder Sans devoir sans exiger Nul ne m'attend sur un quai Tu me regardes je vais Quand auras les yeux fermés Sans ton souvenir j'irai Dans la clameur d'éternité Longtemps je l'ai contemplé Je sentis à mon côté La douleur se dissiper Qui m'empêchait de respirer Et je sus tel le galet Au fleuve prise donner Le laisser me retourner Me soulever m'emporter Sans savoir où me menait Douloureux sourd insensé Ce courant où je n'avais pied Lors je compris qu'étais né Ce jour et qu'appartenais À la vague que gonflait Sans la moindre volonté Libre de nécessité Ce grand mouvement ondulé Vous dieux que j'ai désirés Êtes-vous morts crucifiés Êtes-vous au monde nés Dans le vide illuminé Je suis par le fleuve entré Épousant le long filet D'une fluante pauvreté
Comme dans « Clotilde » de Guillaume Apollinaire, chaque strophe est composée de vers de 7 syllabes, et d’un dernier vers de 8 syllabes. Ce poème avait déjà inspiré la forme clotilde introduite par Annie Hupé.